L'éblouissante promesse de la lumière dans le minéral opaque
Les sculpteurs sont souvent prisonniers de leur matériau. Afin de vaincre leurs difficultés techniques, ils font peut-être davantage de concessions que les peintres. Une fois le matériau dompté et l'idée incarnée, il y a toujours le danger de tomber dans l'académisme issu de leur propre technique. L'inévitable répétition les guette: la sculpture, la classique tout particulièrement, s'éternise une fois installée dans un style et devient fatalement ennuyeuse.
La sculpture de Fanakidis nous provoque une surprise agréable. Le sculpteur, tout en restant classique, n'est pas rigide pour autant. Il joue avec la forme, il va du figuratif à l'abstrait et de l'abstrait au figuratif. Il utilise aussi bien le polyester, mais aussi le bronze, le ciment, la pierre. Il se meut entre petits et grands formats, de l'horizontale et la verticale, tranquillité et agitation, des formes organiques et biomorphiques à la dureté des grands carres abstraits. Fidèle du formalisme, il ne se laisse pas aller aux facilités du collage, de l'assemblage des éléments hétérogènes déjà prêts. Il refuse toute appropriation et demeure seul maître et créateur de son matériau et de ses formes. Manifestement, il travaille dans la durée et ses sculptures s'exposent comme des œuvres qui vont résister au temps et vont devenir de pièces de musée.
L'idée même de l'éphémère lui paraît étrangère, et cependant l'empreinte de deux corps en filet métallique, image autant en mouvement perpétuel que fragile, caresse le mur de son atelier. Dans ce même atelier, l'on peut apercevoir les choses les plus contradictoires. Une pièce volumineuse, monumentale, auprès d'une autre, légère qui tient à peine en équilibre: un athlète court, un pied devant à terre, l'autre vers l'arrière pliée vers le haut, exprime un mouvement qui pourrait plaire à Boccioni.
La maquette pour le Monument de Gorgopotamos (le pont ferroviaire explosé par les résistants grecs en 1942): une sorte de passage habilement orienté qui fait la démonstration d'une compréhension profonde du lieu. Le spectateur est appelé à franchir les formes imposantes organisées et abstraites, à s'enfoncer dans le minéral opaque afin de retrouver, après une traversée obscure, l'éblouissante promesse de la lumière.
Il est difficile de repérer un style chez Fanakidis. S'il en avait un, cela serait plutôt le refus de style, la polyphonie, la recherche constante, surtout l'introspection. Que la nécessité devienne apparente, qu'une impression s'exprime.
Dans l'ensemble, les œuvres sont teintées d'une disposition expressionniste et symbolique avec un caractère d'Europe centrale, puisque nous connaissons que le sculpteur a fait ses débuts dans l'art en Bulgarie. Ces mêmes tendances, timides et allusives dans un premier temps, s'affirment davantage par la suite.
Les œuvres actuels sont plus affranchies, voire provocantes: l'homme enraciné au pied monstrueux, mais surtout le "cri du loup", qui pourrait bien être un hommage à Francis Bacon.
Tout, dans cette sculpture, s'additionne dans l'expression la plus douloureuse de l'instinct. Le corps, nu et rongé, ne dispose pas de bras ou de pieds. L'érection est terrible. La tête de loup tournée vers le haut pousse un hurlement plaintif. Toute la solitude horrible de l'instinct mis à nu éclate sans retenue. Le thème de la nature oppressée, que l'on trouve souvent dans les sculptures plus anciennes de Fanakidis, celui des éléments humains écrasés sous le poids de la ville technologique, revêt ici une forme nouvelle, dramatique mais aussi révoltée. Ce cri du loup est le signal et le message libérateur d'une sculpture qui exprime l'angoisse contemporaine, mais dans le même temps exige son espace et son autonomie propres.
Eurydice Trichon-Milsani